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                            Louis DELORME

     

LE PARAPLUIE

 
C’est un objet des plus bizarres
Qu’on n’a jamais au bon moment,
Soit qu’on l’oublie, soit qu’on l’égare,
On ne s’en sert que rarement.
 
Les gens superstitieux vous disent
«Ne l’ouvrez pas à l’intérieur !
(Mais ce ne sont que des sottises )
Cela vous porterait malheur ! »
 
Qu’est-ce qui vaut mieux ? une tuile
Ou tout bonnement un pépin ?
Lorsque je me promène en ville,
C’est plutôt les toits que je crains.
 
Quelquefois le vent les renverse
Pour voir le dos de leur décor
Alors que redouble l’averse,
Vous cinglant de plus en plus fort.
 
Les gens rient comme des baleines
En le voyant tout retourné
Mais le vent qui n’est pas en peine
Leur en donne un coup sur le nez.
 
Certains qui passent votre porte
Aiment le voir dégouliner :
Tout ruisselant ils vous l’apportent
Espérant vous voir fulminer.
 
Il est des gens qui l’utilisent
Pour se garantir du soleil ;
Pour avoir de l’ombre à leur guise
Lorsque en plein sud ils ont sommeil..
 
La jeune femme aventurière
Qui compte revoir son amant
Le cache dans la garçonnière
Pour revenir incessamment.
 
J’en sais des bleus, des noirs, des mauves,
Certains de toutes les couleurs ;
Et ce qu’ils voient dans les alcôves
Leur fait même pousser des fleurs.
 
Je connais des malins qui l’ouvrent
Et qui s’en font un paravent ;
Au moindre signal, ils se couvrent,
Quelquefois même bien avant.
 
Certains l’avaient pour Pentecôte
Quand s’est mis à souffler l’esprit
Ce n’était pas vraiment leur faute
Leur médecin l’avait prescrit.
 
Oh ! gloire à cet objet fétiche
Que fans de l’imper dédaignaient ;
Le vrai gentleman s’en entiche
Et le suspend à son poignet.
 
Gloire aussi bien à la mégère
Qui court à la rixe avec lui,
Quand la discussion dégénère,
Quand le beau temps meurt sous la pluie.
 
Riflard, pébroque ou simple ombrelle,
D’Aurillac comme de Cherbourg,
On aime voir sous lui la belle
Qu’elle soit de nuit ou de jour.
 
Moi qui le trouve poétique,
J’aimerais pouvoir m’envoler
Avec sa coupole magique,
Aller sans fin batifoler,
 
Aller passer ma république
Sous un ciel immensément bleu
Où le soleil toujours s’applique,
Où jamais nuage ne pleut.
 
L’exposant dans une vitrine,
Ouvert largement déployé,
Comme une relique divine,
J’aurais à cœur de le choyer.
 
Louis Delorme : extrait de POUR DE RIRE
le Brontosaure éditeur.

 

 

à propos de cravate

à Madame Madeleine Delouf.

 
Réhabiliter la cravate,
Ce n’est pas une chose aisée :
Elle est comme un fil à la patte,
Une corde au col imposée.
 
Il en était pourtant de belles
Sur nos chemises empesées ;
On voyait même des dentelles
Sous de jolies têtes fraisées.
 
Avec son grand nœud papillon,
Le clown avait presque des ailes ;
Ses habits n’étant que haillons,
Sa cravate, on ne voyait qu’elle.
 
Le peintre avec sa Lavallière,
A sa toile donnant l’assaut,
En imposait à sa manière
Beaucoup plus qu’avec ses pinceaux.
 
Il impressionnait ses modèles,
Fragiles dans leur nudité ;
Mais le seul objet de son zèle
Par la toile était limité.
 
Certains ne portaient qu’une ganse
Soulignant leur physionomie ;
Plutôt noire de préférence :
était-ce par économie ?
 
La cravate évitait les rhumes,
Presque aussi bien qu’un cache-nez ;
L’épingle étalait la fortune
Des jeunes soupirants bien nés.
 
Certains messieurs pleins d’élégance
En changeaient presque tous les jours
Certains même augmentaient leur chance
De rencontrer le fol amour.
 
Que l’on eût un nœud simple ou double,
La cravate, chez nos consœurs,
Pouvait parfois semer le trouble
Et nous valoir quelques faveurs.
 
Armée de ses ciseaux terribles,
Dans son cabaret, Patachou,
La prenait aussitôt pour cible,
Ne vous laissant qu’un tour de cou.
 
C’est une chose qui m’épate
Et qui me donne à méditer
La cravate vient des croates...
En ont-ils, eux, jamais porté ?
 
Louis Delorme : extrait de POUR DE RIRE
le Brontosaure éditeur.

SOYONS GASTRONOMES DE LA VIE


La vie comble toujours celui qui l’apprécie,
Qui goûte chaque fruit que donne la saison,
Qui contemple sans fin chaque péripétie
D’un jour qui va vers l’autre au bout de l’horizon.

Heureux celui qui voit partout la poésie
Sans devoir la chercher au sein de sa raison !
Dans la source qui naît où l’azur s’extasie
Et les coquelicots qui poussent à foison.

Arrêtons de chercher midi à quatorze heures,
De nous laisser berner par quantité de leurres,
Posons notre regard sur ce qui nous émeut :

La feuille qui s’envole et le vent qui murmure,
Tandis que dans le ciel, la terre qui se meut
Nous mène chaque nuit vers une autre aventure.

LA FORET


La feuille a tapissé les bois
D’une tenture en demi-teintes ;
Partout les allées sont repeintes,
La forêt répare son toit.

Au sol, la brodeuse prévoit
Des anémones, des jacinthes ;
La feuille a tapissé les bois
D’une tenture en demi-teintes.

Les oiseaux retrouvent leur voix
Et la biche sème ses craintes ;
Çà et là de douces étreintes
Unissent des enfants de rois :
La feuille a tapissé les bois.

DES IDEES ET DES HOMMES


Je crie pour des idées plutôt que pour des hommes
Même si je connais des hommes de valeur ;
Nous avons nos défauts tous autant que nous sommes,
Je sais que quelquefois les idées ont les leurs.

Je suis abasourdi lorsque je vois la somme
De ce qui fut pensé sous toutes les couleurs ;
Il faudrait avoir lu quelque millions de tomes
Pour se faire une idée valable sur nos mœurs.
Même si je connais des hommes de valeur,
Je crie pour des idées plutôt que pour des hommes.

Mes idées ? Je les passe au crible, je les somme
De me donner toujours des marques de chaleur
Humaine, de bonté, sans cesse je les gomme
Pour que leur contenu se dise avec des fleurs.
Je crie pour des idées plutôt que pour des hommes
Mais je connais aussi des hommes de valeur.

Je me méfie toujours des oiseaux de malheur
Qui disent que la femme aurait croqué la pomme...
Ces idées qui sur nous répandent la terreur,
Soit de Jérusalem, de la Mecque ou de Rome,
Elles  peuvent aller se faire pendre ailleurs ;
Je veux bien qu’une idée me mette un peu de baume
Mais que ma liberté conserve sa teneur !
Car j’aime les idées beaucoup moins que les hommes,
Ce sont eux les garants d’éternelles valeurs.

Mes frères, ce sont eux, ce sont eux que je nomme,
Lorsque ma condition me fait verser des pleurs ;
La plus savante idée ne vaut pas un atome,
Qui n’a pas cheminé sur les sentiers du cœur.
Je laisse mes idées, je me bats pour des hommes
Pour les voir partager chaque jour mon bonheur.

Extraits de "Quinze poèmes pour Margot"

PÉRENNITÉ


Le grand-père est parti comme pour un voyage
Sans prévenir ; et sans avoir gardé le lit.
Lui qui restait déjà dans l’ombre de l’oubli
S’est éloigné de nous sans heurt et sans tapage.

Le bâton qu’il taillait tout en gardant ses chèvres,
Dans un coin de la cour, traîne sur les pavés ;
La liane d’un serpent, quatre chiffres gravés,
Ceux qu’a choisis la mort pour lui sceller les lèvres.

Je l’imagine encor, roulant sa cigarette,
Assis contre le mur, à l’abri du tilleul ;
Dans le chemin qu’il remontait parfois tout seul,
J’ai l’impression de voir avancer sa casquette.

Le vent porte toujours sa voix sur la colline,
Son rire bien vivant fait frissonner les blés ;
Sous la pierre, à tâtons, sa main cherche les clés
Et son œil brille encor quand sonnent les clarines.

Si je n’ai plus, de lui, dans l’album de famille,
Jaunie, aux bords rongés, qu’une vieille photo,
Il suffit de fermer les yeux pour qu’aussitôt,
Celle du souvenir dans mon âme scintille.

Depuis, il m’a semblé que je reprends ses gestes :
Comme une part de lui qui serait dans mes mains ;
J’ai la même façon d’aller par les chemins,
De serrer ma ceinture et d’enfiler ma veste.



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