Jane DENY –
Saint-Martin-du-Vivier (Seine-Maritime)
LES YEUX VERTS
Penchée sur la source
entourée de bouleaux
Fleur recueille et
savoure la fraîcheur de l'eau.
Elle ne soupçonne
pas, s'avançant sous couvert,
Les pas de
l'étranger, ni l'éclat des yeux verts
L'homme timidement a
demandé : « à boire ».
Dans ses paumes
remplies, elle l'a laissé boire
Puis soudain s'est
sentie tête et cœur à l'envers
En croisant le regard
des étranges yeux verts.
Les heures sont
passées, de lumière nimbées.
Ensemble, doucement,
robe et nuit sont tombées.
Discret, l'astre là
haut, d'un nuage s'est couvert
Tandis qu'un regard
bleu épousait des yeux verts.
À l'aube, la nature
éclate, ensoleillée.
Sous la caresse
tiède, Fleur s'est éveillée.
De la voûte feuillue,
elle contemple l'envers,
Mais il a disparu,
l'étranger aux yeux verts.
L'été s'en est allé,
les feuilles se sont rouillées,
Les oiseaux se sont
tus, les arbres dépouillés.
Dans le printemps
naissant, éclaboussant de vert,
Fleur se penche,
attendrie, sur l'enfant aux yeux verts.
Dans "Les Poètes
du dimanche", tome IX
MAIS
D’OÙ VIENT LE POÈTE ?
D'un
trou noir et glacial, d’un abîme insondable,
Dieu
voulut que sortît un monde incomparable.
«
Dieu créa l’univers, visible et invisible »
Je
n'ai rien inventé, c'est écrit dans la Bible.
En
six jours, le Grand Maître bouleversa le néant.
Il
fit jaillir la terre, le ciel, les océans,
La
lune et le soleil, ces deux grands luminaires
Qui
éclairent le monde depuis des millénaires.
Et
puis un beau matin la terre se recouvrit
D'herbe
verte, de fleurs, de forêts et de fruits
Puis
vinrent les oiseaux de l’aigle au mandarin,
Et
bientôt les poissons peuplèrent les fonds marins.
À
bien d’autres espèces Dieu donna corps et vie,
S’accordant
çà et là un peu de fantaisie
Les
rayures du zèbre, des oursins les piquants,
Les
points des coccinelles, la trompe des éléphants.
Enfin
il créa l’homme et l’appela Adam
Et
puis lui donna femme pour qu’il fît des enfants.
Et
pour le Créateur ce fut l’apothéose,
Le
temps était venu qu’enfin il se repose.
Dieu
s’assit et se dit : « J’ai créé l’univers
Mais
qui en parlera, en prose ou bien en vers,
Avec
des sentiments que seule l’âme reflète ?»
Dieu
se remit à l’oeuvre… et créa le poète.
Dans
"Les Poètes du dimanche", tome XIV
LES
MOTS
Entre
celui confus, bafouillé au
berceau
Et celui murmuré dans un dernier
sursaut,
Combien en sont-ils tus, combien
en sont-ils dits,
De ces mots dont on use afin
d’être compris.
L’homme a, sur l’animal, cet
énorme avantage
De connaître les mots nuançant le
langage,
Les uns sont rassurants, futiles
ou troublants,
D’autres durs et précis se
veulent convaincants.
Ne vous y trompez pas ! Les mots
sont des malins,
Parfois leur double sens vient
piéger les plus fins.
C’est ainsi qu’au théâtre on rit
du quiproquo
Qu’un auteur a créé en jouant sur
les mots.
Qu’ils soient dits ou chantés,
proclamés ou écrits,
Ils sont le lien puissant entre
tout ce qui vit.
Plongez-vous dans les livres, les
recueils ou lexiques,
Nichés au creux des pages, les
mots y sont magiques.
Dans
"Les Poètes du dimanche", tome XIV
LE CLOWN
Son
pantalon trop large,
ses godillots béants,
Sa veste à grands
carreaux, son gros nez rutilant,
Le voici sur la piste,
saluant les enfants
Venus de tous les coins,
serrés au premier rang.
Sur ces minois hilares
tout à coup s’interpose,
Venue des souvenirs, une
image s’interpose,
Les traits inoubliables
d’un visage joufflu
Et les grands yeux rieurs
de l’enfant qu’il n’a plus.
Mille bambins ravis se
méprennent sur les larmes
Sans savoir que leur rire
est la meilleure des armes
Sur la peine d’un cœur
qu’il lui faut surmonter
Ce cœur gonflé d’amour,
qu’il donne sans compter.
Pour ces enfants venus à
lui le cœur en fête,
Il redevient jongleur,
musicien et poète.
Le faisceau lumineux
éclaire sa silhouette
Esquissant pas de danse,
gambade et pirouette.
Et les petites mains se
lèvent et applaudissent.
Il feint de s’en aller, se
faufile en coulisse.
Sous les bravos des fans,
il revient sur la piste.
C’est un moment de grâce,
le clown n’est plus triste.
5 décembre 2002
TU AVAIS DOUZE ANS
Tu avais dit : « Maman je vais sur la colline »,
Cette colline sauvage invitant à l’errance,
Terre de découverte pour gamins en vacances
Où je voyais de loin un buisson d’églantine.
Tu as oublié l’heure, même celle des tartines,
Tu es rentré très tard, débraillé, front en nage,
Encadrant dans la porte ta tête d’ange sauvage,
Souriant, tu m’as tendu un bouquet d’églantine.
J’ai gardé dans mon cœur ces roses sauvagines
Et quand je dormirai en paix au cimetière
Promets-moi de venir déposer sur la pierre,
Ne serait-ce qu’une fois, un bouquet d’églantine.