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                                   Henri HEINEMANN - Cayeux-sur-Mer (Somme) 

ADOLESCENCE


Énigmatique croissance
où d'un mois sur l'autre
l'enfance quitte l'enfant
pour revêtir l'homme ou la femme
de son habit d'adolescence.
Seins esquissés, sexe menu
ils seront adultes le jour venu
sans s'être même vus grandir.

Mais le trouble qui les étreint
les désirs, les pensées subtiles,
le pur et l'impur, ce qui les tenaille,
hé ! vaille que vaille cette geste d'amour
qui la chantera, secrète et sublime ?

Déjà le Saint-Graal de la nuit des âges

coule dans leurs veines.

CIEL


Le ciel était triste et blanc
mais voici qu'il se pommelle,
bientôt il sourira bleu
pour un peintre quelque part
qui sèmera des oiseaux
des hirondelles, des mouettes
sur un fond de peupliers
sans gâter ce ciel, morbleu !

Ce sera le divin mai
tel qu'on le voit dans les Heures
si Riches des trois Limbourg .

ENFANTEMENT


Quelle main amie
verse les mots dans la trémie ?
qui les cueille qui les coule
qui les meule qui les moule ?
 
Le phrasé germe
l'image naît,
écrire est un enchantement.

Et quand s'enfante le poème
au terme d'un couloir de veille
il est un fruit mûr
dans la paume de l'homme
qui s'étonne lui-même
d'avoir donné
vie et forme à ses mots.

JUSQU'A ONZE ANS


Jusqu'à onze ans je fus l'enfant des sans-soucis
au royaume illusoire des secondes vie,
me gorgeant de lecture
devenant tour à tour un très bon petit Diable,
le Chrétien de Bunyan ,
Strogoff et d'Artagnan.

 Ô ! L'enchantement des soirs
où m'éclairant d'une lampe électrique
me battait fort le coeur dans le sillage des héros.

 Charles collait deux Diables à ses fesses,
Paganel tombait d'un arbre patagon,
Strogoff de ses yeux morts dardait Féofar Khan
lors j'éteignais la lampe
pour m'endormir Mohican.

Le matin me muait en écolier
c'était miracle et j'étais heureux
exquise époque
où le sexe me faisait rire
et mon maître trembler.

L'ETOURDI


Quelquefois je voudrais savoir
dans ma cervelle endolorie
quel médicastre soignerait
et pour mieux dire guérirait
ma proverbiale étourderie.

J'en appelle â toutes les sauces
le noeud au mouchoir, l'agenda,
les remèdes dont on se gausse,
la poudre de perlimpinpin,
rien n'y fait, crénom d'un Merlin !

Vous verrez que le jour viendra
mais je ne sais ni quand ni comme
où m'arrêtant de délirer
j'aurai mon dernier oubli d'homme
bref, j'oublierai de respirer.

LE VIVRE


Qu'est le vivre après tout sinon maux et merveilles
    les maux ternissant les merveilles
    les merveilles cachant les maux,
Vivre c'est occuper le temps entre deux bornes
gérer l'incertitude entre deux certitudes,
ces mystères que sont le naître et le mourir

MOISSONS



Le mastodonte vert aura tôt fait son œuvre
à vous tondre la plaine, à récolter le grain.
 
Moisson de solitude en bel et bon arroi
deux prêtres suffiront, la messe sera dite.
 
Enfant d'étés anciens
il me souvient des grand-messes du blé
 
des soupes du matin
tandis qu'on attelait
deux percherons dans un bruit de sabots
à la moissonneuse-lieuse
 
et des départs l'air nous piquant le nez.
 
Au champ
devançant la machine
un prélude à la faux
couchait l'entame à la façon d'antan
 
puis les percherons s'engageaient
et nous suivions rassemblant en faisceaux
toutes les gerbes
 
sous les premières était caché
à l'ombre le cidre en fillettes.
 
Les bêtes allaient droit devant
hochant de la tête
soufflant des naseaux,
tournaient large puis revenaient
et nous sentions leur sueur au passage.
 
Un jour nous hissant sur les chars
de fourche à fourche nous cueillions les gerbes
en dressant contre les ridelles
étageant le reste jusqu'à trop plein
 
un autre l'on battait
nous étions ivres de poussière
de cidre et d'assourdissement,
 
Mais le festin final nous payait de nos peines
de nos éreintements, de nos cloques aux mains
des filles nous frôlaient, riaient et nous moquaient
d'avoir rougi, nous nous en défendions
si mal qu'elles riaient encore.
 
  C'était - qu'on me pardonne -une messe d'hier.


LES POÈTES

   

...Vous les pianos mécaniques,
Redites-moi le nom de ces croqueurs de vent
Qui cueillent l’Aquilée aux rives des chemins.
Des hommes sans mémoire et sans auparavant
Chantent la villanelle et soufflent dans leurs mains
pour qu’il n’en reste rien
Redites-moi le nom de ces pêcheurs d’écume
Qui raclent les grands fonds de nos mers intérieures.
Ils ne trouvent jamais que des poissons de brume
Qu'ils rejettent à l’eau des moissons ultérieures

        pour qu’il n’en reste rien

Redites-moi le nom de ces cœurs étoilés
Qui portent dans la nuit des couronnes de roi.
C'est la haute magie des chariots attelés
Qu'on emplit de diamants couleur de désarroi

        pour qu’il n’en reste rien

Redites-moi le nom de ces buveurs d’images
Qui caressent un soir la subtile fredaine.
Ils passent le front nu dans le feu des nuages
Et se brûlent les doigts à distiller la peine

        pour qu’il n’en reste rien

Redites-moi le nom de ces rebelles-nés
Qui se sont égarés dans un autre univers,
Ou costumes parfois d’arbres déracinés
Qu’ils trouvent au hasard des rendez-vous pervers

        pour qu’il n’en reste rien

Redites-moi le nom de ces voleurs futiles
Qui pressent des trésors à n’en savoir que faire.
Eux qui n’ont de joyaux que des fleurs inutiles
Sur quoi passe l’aveu d’un éternel mystère

        pour qu’il n’en reste rien

            ... Vous les pianos mécaniques d’Amsterdam
Dans Chants d'Opale

       






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