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                            Jean-Luc KERLOC’H

 

Un marronnier, un marinier

 
Il y avait un marronnier,
Un marronnier qui maronnait
Parmi ses frères, au bord de l’eau.
 
Il était las de végéter.
Il eût tant aimé voyager !
Quitter la rive et naviguer,
Bienheureux comme un marinier...
 
Il y avait un marinier,
Un marinier qui marinait
Dans son ennui, sur son bateau.
 
Il était las de naviguer.
Il ne songeait qu’à débarquer !
Sur la rive s’enraciner,
Tranquille comme un marronnier...
 
Un jour, le marinier
S’installa près du marronnier.
Celui-ci n’en prit pas ombrage.
 
Ecoutant l’homme raconter
Ses souvenirs de batelier,
L’arbre se croyait en voyage I
 
Prix Paul Fort 2005


   
 
 
 

LES GRANDS ENFANTS

                       À Jacques Fournier

 
Laissez-nous jouer
Dans la cour des petits,
Nous les grands enfants
De la poésie.
Laissez-nous jouer
À l'ancien jeu des vers,
Nous les incurables,
Les indécrottables,
Les retardataires.
Nos couplets sont obsolètes,
Simples comme les chansons ?
Nous ne sommes pas poètes,
Tout juste poétaillons ?
Qu'importe, nous nous poilons,
Avec nos jeux, avec nos rimes,
N'en déplaise aux cérébraux,
N'en déplaise aux z'intellos
Qui côtoient le sublime
Tout là-haut sur les cimes.
Laissez-nous jouer
Dans la cour des mioches,
Nous les vieux Gavroches
Qui avons depuis beau temps
Passé l'âge du bac à sable,
Mais qui gardons joyeusement
Un orvet dans notre cartable.



Prix Paul Fort 2005


Cru Classé du Confluent 2013



AU FAY



L'automne qui arrive,
Masqué comme un brigand.
La course et le qui-vive
Du lièvre dans les champs.
La joggeuse élégante,
Fugitive beauté !
L’harmonica qui chante
À l’ombre d’un verger.

Ce ciel bleu que Verlaine
Chanta si tristement.
Les sentiers où je traîne,
Rêveur grisé de vent.
Le cheval qui gambade,
Tout fringant sur le pré.
Quatre notes d'aubade
Au chevreuil étonné.

La jolie fleur sauvage
Qui meurt entre mes dents.
Et cette fleur de l’âge
Qui se fane à présent.
Les merveilleux nuages,
Beaux comme des voiliers.
Simple gerbe d'images,
À la mort d'un été.


AU SIXIÈME SOUS LES TOITS



Il bourlingue dans sa tête,
Ballotté sur son trois-mâts,
Son drakkar, sa goélette,
Au sixième sous les toits.

Dans le gris de sa chambrette,
Les longs soirs de calme plat,
Il s’invente des tempêtes,
Des naufrages, des combats !

Il bourlingue dans sa tête,
Louvoyant sur la Pinta
Ou pillant quelque corvette
En forban de cinéma.

Que de fois, dans sa studette,
Bien ancré sur le sofa,
Il a fait votre conquête,
Toison d’or, galion du Roy !

Il bourlingue dans sa tête,
Loup de mer traquant sa proie,
L’œil rivé à la lunette :
“Moby Dick, me revoilà !”

Fol Achab rien ne l’arrête !
L’épopée souffle à tout va,
Comme souffle la tempête,
Au sixième sous les toits !


LES FLEURS D’HIVER



Dans le silence de la nuit,
    Elle écrit
Le long poème de sa vie
    Qui finit.
Un long poème à cœur ouvert,
Comme un bouquet de fleurs d’hiver.

De Boucle d'Or aux cheveux blancs,
    Tout ce temps...
Combien de joies et de tourments,
    Cœur battant ?
Combien de fêtes, combien d’orages,
Pour chaque ride sur son visage ?

Elle écrit son livre.
Elle écrit la passion de vivre.
Elle a croqué dans tous les fruits.
Elle a aimé à la folie.

Elle écrit son livre,
Tout éblouie encore de vivre,
Le cœur en paix au fil des mots.
L’hiver est doux, l’hiver est beau.

Dans le silence de la nuit,
    Elle relit
Ces pages où défile sa vie,
    Et se dit :
"Pour le meilleur et pour le pire,
Je n’ai suivi que mes désirs."

Elle écrit son livre.
Elle a vécu comme on s’enivre,
Et survécu à des naufrages,
Plus forte pour d’autres voyages.

Elle écrit son livre,
Et si l’histoire n’est pas à suivre,
À quelques mots du dernier mot,
L’hiver est doux, l’hiver est beau.



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