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André LABOURDETTE - Maurecourt (Yvelines)

Cru Classé du Confluent 2014

L'ETRAVE *

Le morceau de péniche est perché sur la butte,
Au bord de l’autoroute, planté comme une pute,
Crâne décapité, juché sur une pique,
Mutilation obscène, en pâture publique,
Tête de poisson mort, sectionné sur l’étal,
Arraché hors de l’eau par un destin fatal,
Et dont les ouïes sécrètent des ancres inutiles,
Vestiges ridicules, sur ce tertre imbécile,
Qui désormais ne mouillent, qu’au fond de la détresse,
De ce vaisseau fantôme éperdu de tristesse.

Les anciens se souviennent au vu de ta dépouille,
Que du Nord tu venais, pour convoyer la houille,
Et qu’à fendre les flots tu mettais ton ardeur,
Poussant des vaguelettes sous les barques des pêcheurs,
Offrant à ton sillage un pavillon bien haut,
Et ton bachot de bois qui te suivait fiérot.

Mourir en dignité, mais sans être oublié,
Vaut mieux que déshonneur de survivre humilié.
Et si les flammes un jour t’envoient au paradis,
II me faudra sans doute trouver un alibi.

Quand passant près de toi la nostalgie me guette,
Mon regard se détourne, et je baisse la tête.

*Ce texte concerne un édifice «décoratif» constitué d’une étrave de péniche, le SAMOURAÏ, posée sur un parterre herbagé à proximité d’un rond-point routier de la ville de Conflans-Sainte-Honorine, capitale française de la batellerie fluviale.


QUOIQUE...


Le bon maitre Devos, inimitable artiste,
Se mit à converser un jour avec son chien,
Concluant ses dialogues, au ton surréaliste,
En ajoutant, finaud, comme dans un refrain :
Quoique...


Et c’est ce mot français que depuis je vénère,
Car c’est lui qui de tout offre une alternative,
Des belles certitudes, suggère le contraire,
Pour peu qu’on leur adjoigne, de façon supplétive :
Quoique...

Le philosophe Alain prône dans ses écrits
Que toute idée est fausse, dès lors qu’on s’en contente,
Et qualifiant le doute comme sel de l’esprit
Sanctifie ce vocable, de façon éminente :
Quoique...

Et si ces journalistes, aux pouvoirs influents,
Analystes experts, aux propos péremptoires,
Évaluant leurs diatribes, à l’épreuve du temps,
Accolaient désormais, à ce qu’ils nous font croire :
Quoique...

Puissent tous ces élus, qui notre vie régentent,
En nous vidant les poches, pour faire notre bonheur,
Restreindre leurs tocades, souvent exorbitantes,
Et les remettre en cause, par l'interrogateur :
Quoique...

Eh ! toi, le militant, oublie ton sectarisme,
Dans la boîte à sottises, remise tes slogans,
Et pour sortir enfin de ton manichéisme,
À tous tes postulats, ajoute de temps en temps :
Quoique...

Ces belles démocraties, qui s’érigent en modèle,
Au nom des libertés, abattant les tyrans,
Laissant les peuples exsangues, sans âme ni tutelle,
Devraient aux grands principes apposer plus souvent :
Quoique...

Qu’au jugement dernier, s’il se fait que l’on dresse,
De mon passage sur terre, le bilan qu’il se doit,
Qu’à mes rares mérites, qu’à mes maintes faiblesses,
On apporte en nuance le plus beau mot qui soit :
Quoique...

Quoique...


L’OASIS ALGÉRIENNE


Hissée sur son rocher, comme sculptée dans la pierre,
La citadelle d’ocre découpe le firmament,
Ravinée par le temps, offrant à la lumière,
La souffrance de ses murs aux morsures du vent.

Puisant en la mémoire des légendes de jadis,
La force et la beauté de sa reine hilalienne,
Le vieux Ksar de son ombre caresse l’oasis,
Dominant en vigile la perle saharienne.

Émeraude à son pied dans le sable enchâssée,
La palmeraie moutonne en voûtes de verdure,
Où l'orange se fait reine par le vent caressée,
Et resplendit la rose en multiples parures.

À l’Ouest le grand Erg de l’infini s’empare,
Offrant au gré des vents les courbes de ses dunes,
Qui se mêlent et ondulent, comme sous le foulard,
Des filles d’El Golea les longues boucles brunes.

Aux rives du désert, le vieux bédouin sans âge,
Sous les plis de son chèche, darde un regard lointain,
Et l’image lui revient de ces fiers équipages,
Sur la ligne des crêtes, cheminant à l’instinct.

Il revoit son troupeau de chameaux alignés,
Traçant sur les collines un éphémère sillage,
Et il pleure ces grands frères, longtemps accompagnés,
Sur les routes des puits, aux maigres pâturages.

De son âme de nomade monte en lui cet appel,
Des espaces sans fins traversés pas à pas,
Et ses yeux embués cherchent au loin sous le ciel,
Les horizons perdus du peuple des chaâmbas.


IMPRESSIONS VENITIENNES


Quand les lueurs de l’aube s’imposent à la lune,
La cité se dessine, émergeant des flots gris,
Quand la brume se lève, enfumant la lagune,
Déjà Venise est belle, et renaît à la vie.

Non tu ne dormais pas, tu n’étais qu’assoupie,
Vivante et frémissante, quand ondulent tes eaux,
Quand s’emplit le silence de tes doux clapotis,
Et claquent sur la houle les gondoles au repos.

Le long du grand canal se suivent au fil de l’eau,
De blancs palais de marbre, aux grâces irréelles,
Posés sur leurs colonnes, aux minceurs de roseaux
Hissant vers le soleil,  leurs voutes de dentelle.

Prodiges d’harmonie, sublimes monuments,
Se dédoublent en tremblant sur les eaux agitées,
Et le vieux pont de pierre d’un seul enjambement,
Réunit les deux berges au cœur de la cité.

Pléthore de boutiques, échoppes aguichantes,
Evoquent de concert le temps du mardi gras ;
Et le badaud rêveur, que Carnaval enchante,
Sent son esprit voguer vers ces jours d’apparat.

Et les belles marquises se donnent  à la fête,
Vêtues comme des reines, en robes de brocart,
Dont brillent tout autant dorures et paillettes,
Que sous le masque blême le feu de leur regard.

Sublimes éventails, masques hallucinants,
L’artiste vénitien ne craint pas les outrances,
Mais si délire est Loi, jamais ne se dément,
De ses tableaux vivants la suprême élégance.

Ornée de ses chevaux, en quadrige d’airain,
Et de ses lions ailés, qui vers le ciel s’élancent,
Couronnée de ses dômes, en ce pays latin,
La basilique d’or est fille de Byzance.

C’est quand tombe le soir que la place sacrée,
Délivrée de la foule et des bruits du négoce,
Révèle la splendeur de son immensité
Que recouvrent à l’automne les marées d’équinoxe.

Tu es ville des arts, aux mille tableaux de maître,
Aux églises élancées,  chefs d’œuvre de tous styles.
Mais l’émotion suprême, c’est te voir apparaitre,
Au soleil alanguie, du haut des campaniles.

Là sur ta mosaïque de rouges tuiles rondes,
Jaillissent comme fleurs coupoles et clochers,
Et sur les saignées vertes de tes veines profondes,
Rebondissent les ponts des canaux engoncés.

Sur tes iles du Nord, pépites de la mer,
Le soleil magnifie les maisons de couleur,
Et l’on brode dentelle, et l’on courbe le verre,
Tandis que joyeux fusent les rires des pêcheurs.

Si  j’étais Bellini, vénitienne racée,
Je prendrais en modèle, pour illustrer la bible,
Ton visage de Madone, gardant les yeux baissés,
Comme vierge attendrie au sourire indicible.

La Fenice s’enflamme, quand le ténor s’empare,
Des airs du Trouvère ou de Rigoletto ;
Et se donne à Verdi, pour qu’exulte son art,
De rouge et d’or mêlés, l’écrin du Bel Canto.

Légendes et mystères, énigmes historiques,
Complots, secrets d’état et sombres exégèses…
L’ambiance ici se prête, aux récits fantastiques,
Ceux de Marco Polo, ou de Corto Maltese.

Souvent la nuit tombée, dans les ruelles sombres,
Serrant ma Dulcinée, j’accélère l’allure :
Ne serait-ce là-bas, coquin tapi dans l’ombre,
Ce bon Casanova, en quête d’aventure ?

La gondole funèbre sur les vagues s’avance,
Vers l’ile San Michele, où reposent les morts,
Offrant au vénitien, comme en ultime danse,
L’hommage de la houle, jusqu’à son dernier port.

Les villes romantiques sont propices au malheur,
Au Lido Visconti, fit son héros mourir ;
Que c’est triste Venise, déclame le chanteur,
Quand les amours se meurent, sous le pont des soupirs.

Et glisse  la gondole, frôlant les murs anciens,
Et glisse sur la corde, l’archet de Vivaldi,
Et glisse sur la toile, le pinceau du Titien,
Et glissent sur la joue, les larmes d’Albinoni.

Te fait-elle rêver, enfant de l’an trois mil,
Cette ville engloutie, par faute de tes pères ?
Ce phare de briques rouges, qui fut son campanile,
De la Sérénissime, en reste le repère.

LA PASSE A POISSONS

Dans l’ile d’Andrésy, en biais on a tranché,
Offrant au fleuve sage, une école buissonnière,
Et pour ses migrateurs, un torrent enroché,
Qui trace le chemin, menant à leurs frayères.

Et c’est bénédiction, pour le grand poisson blanc,
Qui défie le courant, pour remonter le fleuve,
Et sur les flots bondit, comme flèche d’argent,
Débordant d’énergie, en son ultime épreuve.

La rivière se tarit, de la source il est proche,
Ses forces s’amenuisent, les bas fonds se succèdent,
Les filets d’eau sont rares, pour contourner les roches,
Mais éreinté enfin, à son but il accède.

Dans un ultime effort, il lâche sa semence,
Et féconde les pontes, cachées  dans la gravière,
Et poussé par l’instinct, assure sa descendance,
La survie de sa race, et sa mission dernière.

Le seigneur des rivières, sur le flanc s’est couché,
Baroudeur d’océans, périssant au ruisseau,
Au terme de sa vie, au courant s’est lâché,   
Comme fétu de paille, voguant  au fil de l’eau.

Le soleil implacable irradie les Alpilles,
Pas un souffle de vent, pas un signe de vie.
Sur la colline blanche, ni ombre ni charmille,
Et le vieil homme peine, sur la sente qu’il gravit.

D’Amérique il revient, dont il fut conquérant.
Il a tout réussi, sa fortune est immense,
Il a eu le pouvoir, et côtoyé les grands,
Mais il a tout quitté, pour retrouver la France.

Il  aperçoit  perché, tout en haut du chemin,
Son village natal, aux bâtisses de pierre,
Mais la pente est abrupte, son effort surhumain,
Et ses forces faiblissent, au bout de son calvaire.

Dans le petit cimetière, à l’ombre des cyprès,
Il a fait une halte, pour s’éponger le front.
Il  contemple la plaine, et ses oliveraies,
Et de ses yeux d’enfant, retrouve l’horizon.

Sur la dalle de marbre, une larme est tombée,
En perle de remords, pour celle qui gît là.
Pourquoi l’a-t-il  quittée, cette fille tant aimée,
Qui l’attendit en vain, et ne s’en remit pas ?

Au seuil de son logis, il repense à son père,
Le revoit pressant l’huile, ou bien taillant la vigne,
Récoltant la lavande, ou le miel de bruyère,
Vivant de son terroir, en homme simple et digne.

Et défile sa vie, menée comme une guerre,
Sa quête de l’argent, de la célébrité.                    
De ses agitations, ne restent que chimères
Et de ses ambitions, juste la vanité.

S’allongeant sur la couche, là même où il est né,
Il s’abandonne enfin, pour trouver le repos,
Et vers l’éternité, il se laisse glisser,
Tout comme un saumon mort, dérivant sur les flots.

L’ETRANGERE


Qui s’invite chez nous, quelle est cette étrangère ?
Parle-t-elle français, a-t-elle ses papiers ?
Est-elle vraiment digne, de vivre sur nos terres ?
Ne serait-ce par calcul, qu’elle vient se marier ?

« Hors de France je suis née, mais ici j’ai grandi,
Dès après ma naissance, jusqu’à ces derniers jours,
Et nulle part ailleurs, ne me sens mieux qu’ici,
Qu’on me laisse y trouver le bonheur et l’amour.

« Ma destinée me pousse à m’unir sans attente,
Et ma vie n’a pour sens que cet évènement.
Je suis prude, je suis sage, de mon lit me contente,
Et ma vie suit son cours, sans un débordement.

« La langue de Molière a bercé mon enfance,
Et des terres d’ici, je connais plaines et bois,
Et ne serais-je point, pardonnez moi l’offense,
Plus française que vous, si je l’étais par choix ? »

Comme enfin de la belle, on admit arguments,
On voulut sur le champ, célébrer son hymen,
En hâte on fit quérir, les cloches de Conflans,
Et la belge au nom d’Oise, put épouser la Seine.

Et leurs eaux se mêlèrent, comme le font les amants,
Eau du Nord, eau de Langres, quelle est la différence ?
Et l’amour les porta, jusqu’en ville de Rouen,
Pour voyage de noces, en l’océan immense.
                          





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