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                            Pascal  RONZON


CŒUR EN SANG


 Mes yeux se voilent et pleurent sur l’oreiller,
Cachés par la dureté du sombre tissu carré.
Les rêves s’y échouent comme des revers,
En crispations déchirantes qui m’enserrent.
Compagnons, les larmes roulent, protectrices
Car enfant, je fuis pas à pas mes cicatrices.

La nuit est douce. Elle m’offre une âme.
Dehors, il manque les couleurs, les flammes,
La musique, les sens, l’odeur, les reflets,
Ces plaisirs qui s’offrent comme un bouquet.
Dans l’obscurité, les émotions se mélangent
Et enferment, voire brisent mon cœur étrange.

Mes yeux se voilent et pleurent sur l’oreiller,
Cachés par la dureté du sombre tissu carré.
Les souffrances renaissent à chaque révolte
Implacables, dans une douleur qui virevolte.
Depuis le début, elles forment un large édifice
Qui maquille confusément ma persécutrice.

La nuit est douce. Elle m’offre l’étincelle,
Une étreinte qui se déguise en sentinelle.
Tout me reviens, mon enfance, mon passé,
Comme des rendez-vous uniques enchevêtrés.
Chaque entrevue intensifie le supplice
Car enfant, je fuis pas à pas mes cicatrices.

 Mes yeux se voilent et pleurent sur l’oreiller,
Cachés par la dureté du sombre tissu carré.
Mon cœur s’acharne à battre sans contrôle
Comme une grille qui m’enferme et m’isole.
Orphelin, abonné permanent à l’abandon
Je n’existe pour personne. J’ai mal au fond.

 La nuit est douce. Elle m’offre le réconfort,
Rassurant par la clarté précise de son décor.
En écho, les larmes deviennent des armes
Pour un devenir où le vide brûle ses charmes.
L’inquiétude et l’absence en forment le fond
Et leurs sens futiles s’éteignent moribonds.

Mes yeux se voilent et pleurent sur l’oreiller,
Cachés par la fermeté du sombre tissu carré.
Mais le noir offre ses promesses inoubliables
Et s’interposent contre une solitude explicable.
Mon cœur se gonfle, prêt à renaître, complice
Car enfant, je fuis pas à pas mes cicatrices


MA PENSIONNAIRE


Pleine d’énergie le jour et ronronnante fugace,
J’aime chercher la main qui passe sur mon dos.
Le jardin, délaissé est mon territoire de chasse
Où je me roule, joyeuse, dans l’herbe à escargots.

D’humeur gourmande avec mes manières câlines,
Je suis une compagne fidèle au poil bien lisse.
A la suite d’une grave dénutrition enfantine
Mes yeux sont restés voilés de bleu par préjudice.

 Souvent, entre les fleurs, au milieu du bosquet,
Je m’installe au soleil sur mes pattes arrière.
Parmi les oeillets jaunes et les glaïeuls violets
J’ai l’oeil sur le va et vient de la fourmilière.

 Et là, humant ta présence hardie, petite lapine,
Je me place devant l’entrée de ton profond terrier.
Prudente et ironique, tu te faufiles, tu chemines
Dans tes galeries, bien à l’abri de ton guerrier.

 Alors, sans craindre les épines des rosiers,
Je te guette, je patiente pour ce futur régal.
Le fond de la terre devient un gouffre singulier
Là où je t’entraîne dans une souffrance fatale.

Féline sans morale aux longues griffes acérées,
Je joue avec ma proie, et d’un coup sec l’expulse.
Les cris de peur s’accrochent à la lutte infligée,
Tandis que mes pattes agiles te fracassent.

Dominante charmante auprès de mon Maître
Ma queue dressée annonce ma glorieuse victoire.
Je me dirige ainsi vers la cuisine pour apparaître
Comme une assassine active sur son territoire !

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